No 250 – série 2024-2025

Évangile du vendredi 30 mai 6e semaine de Pâques

« Votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn 16, 20-23a)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. En ce jour-là, vous ne me poserez plus de questions. »

Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.

Méditation – Une souffrance fertile en joie

La formule « Amen, amen, je vous le dis », traduite parfois en français par « En vérité, en vérité je vous le dis », est utilisée par Jésus à plusieurs reprises dans les Évangiles. Elle met généralement en avant une valeur tout à fait particulière des paroles qui suivent.

Dans l’Évangile du jour, Jésus évoque deux réalités de l’expérience humaine : la peine et la joie. Naturellement, nous avons tendance à éviter la première et à chercher l’autre. Ce penchant vers la joie, vers la paix, vers l’harmonie, vers la vie en général peut être le reflet d’une mémoire des premières expériences vécues par les humains avant que la grande rupture causée par le péché originel se produise.

Considérant la complexité de notre existence ici et maintenant, tout n’est pas si clair à cet égard. Il arrive d’éprouver de la joie entremêlée de larmes, salée de sueur, ornée de fatigue, éclairée par un dévouement épuisant. C’est la joie de ceux qui, suivant le chemin de la vérité, du bien et de la justice, doivent temporairement traverser diverses épreuves et souffrances, ou même subir la mort. Le Christ prépare ses disciples à ne pas être surpris de faire face à cette réalité. S’ils veulent suivre le chemin qu’Il indique, ce chemin les portera par la souffrance de la passion vers la joie de la résurrection. Plusieurs sont ceux qui ont témoigné de sa fidélité au Christ jusqu’au don de sa vie. Leur sacrifice de la vie a conduit les autres au renouveau spirituel. « Le sang des martyres est une semence de chrétiens », disait Tertullien. Il existe donc une sorte de souffrance qui est féconde, qui sert comme une porte vers la vie en profondeur, vers le renouvellement intérieur, vers la naissance spirituelle.

L’exemple de la femme qui enfante est très parlant dans ce contexte. La naissance au sens physique est toujours douloureuse : soit pour la maman, parce que l’enfantement laisse une blessure, une déchirure en elle. Soit pour l’enfant qui abandonne le ventre de la mère, un lieu sûr et chaud qu’il connait bien, pour continuer à vivre dans un monde large et inconnu. Les deux doivent passer par cette douleur d’un côté pour éprouver la joie provenant du fait de donner la vie, et de l’autre côté la joie de vivre sa vie unique et son identité profonde.

Une jeune juive d’Amsterdam, Etty Hillesum, morte à Auschwitz à l’âge de vingt-neuf ans, semble bien saisir cet aspect de la souffrance qui « peut rendre la vie précieuse ». Voici ce qu’elle écrit dans son journal : « Il me semble discerner avec une netteté croissante les abîmes où s’évanouissent les forces créatrices d’un être et sa joie de vivre. Ce sont des failles qui s’ouvrent dans notre psychisme et qui engloutissent tout. À chaque jour suffit sa peine. Les pires souffrances de l’homme ce sont celles qu’il redoute. Et puis il y a la matière, c’est toujours elle qui tire l’esprit à elle, et non à l’inverse (…). Je sais comment libérer peu à peu mes forces créatrices des contingences matérielles, de la représentation de la faim, du froid et des périls. Car le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité, on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s’y attachent – on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules et c’est en la portant que l’on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance – qui n’est pas souffrance, car celle-ci est féconde et peut vous rendre la vie précieuse – il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi-même la vie réelle avec toutes ses forces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle, dans sa propre vie et dans celle de l’humanité »[1].

La souffrance vécue dans une attitude de révolte est gâchée, tandis que celle acceptée nous transforme, nous rendant semblables à Dieu, c’est-à-dire ressuscités. Etty Hillesum le témoigne si bien. Les horreurs du camp de concentration et les souffrances qu’elle a endurées n’ont pas pu éteindre sa joie de vivre et l’amour pour les autres : « J’ose regarder chaque souffrance au fond des yeux, la souffrance ne me fait pas peur. Et, à la fin de la journée, j’éprouvais toujours le même sentiment, d’amour de mes semblables … »[2].

Lorsqu’on apprend à regarder cette réalité de souffrance en face, on apprend à être libre, à ne plus avoir peur, à gouter la vie réelle. C’est de là que découle la joie profonde que rien et personne ne peut nous ôter !

Halyna Kryshtal – hkryshtal@lepelerin.org


[1] Etty Hillesum, Une vie bouleversée suivi de Lettres de Westerbork. Journal. Éditions du Seuil 2008, p. 229-230.

[2] Ibid., p. 240


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