La gratitude sauvera le monde – Éditorial de novembre 2025

Depuis l’automne, j’ai le privilège d’être la figure d’accueil du service de l’accompagnement spirituel. Depuis l’automne, je prends conscience de la détresse qui s’épaissit jusqu’à devenir étouffante ici, partout. Les demandes qui surgissent sont marquées par une souffrance de plus en plus existentielle où la mort devient une option parmi d’autres. Ces demandes, toutefois, portent aussi le germe de l’espérance, aussi têtue que déraisonnable. C’est elle qui appelle à travers le désir de vivre, à travers les appels téléphoniques. Pleurs, cris, désarroi, épuisement ou idées suicidaires, ces hommes et ces femmes en lambeaux au bout du fil, au bout de leur fil, n’ont plus de souffle. Leur dénuement rencontre alors notre pauvreté, car après tout, nous n’avons qu’une présence à leur offrir. Mais une toute-présence sur les cendres de leur toute-puissance. L’accompagnement est une présence dans la Présence, elle est résistance à la dévastation du monde intérieur des écorchés vifs, elle est encore résistance à la destruction du monde extérieur qui violente et massacre toute forme d’humanité et de vie.

Au téléphone, j’entends cette humanité terrassée mais non pas anéantie pour paraphraser saint Paul. Les pleurs et les cris accueillis, c’est une gratitude inouïe qui surgit : « Merci, mon Dieu, si vous saviez… ». Chaque fois, je suis saisie par cette gratitude, elle est le cœur palpitant de notre présence et du don que nous sommes. Chaque appel, chaque courriel, amorce une dynamique de compassion et de gratitude qui donne à vivre, simplement par la présence. Simplement parce qu’ensemble, nous donnons sa chance à la Vie pour reprendre les termes du père Simon-Pierre Arnold. La pauvreté et la misère de cet autre nous sont envoyées pour que nous puissions donner notre vie, notre temps et surtout, contempler la vivacité du Christ qui cherche à naître. Chaque rencontre d’accompagnement est une occasion unique de dire ensemble un Oui à la vie, une annonciation secrète, source d’élan et de souffle autant pour la personne aidée que pour la personne accompagnatrice. Ce fiat à ce qui nous dépasse, nous ouvre et nous abreuve reste aussi vivifiant qu’insaisissable comme l’eau que nous recueillons dans nos mains.

Émerveillés par la vérité et la Vie sous les décombres des noirceurs et des indignités de l’autre, nous ne pouvons que nous agenouiller devant cette beauté renouvelée, cette fragilité puissante. En tant qu’accompagnateurs, notre présence ne sert qu’à rendre grâce malgré et contre l’ingratitude qui sévit. Une ingratitude envers la vie qui fraye avec le mal, qui réduit la vie pour la dominer, qui l’exploite pour le profit et la crucifie, encore et encore. Chaque accompagnement devient ainsi un instant inespéré pour sauver le monde. C’est une rencontre inattendue pour dé-couvrir la fragilité, l’émerveillement de ce Dieu naissant en nos pauvretés. Provenant de tous horizons, avec nos dons uniques, nous sommes des mages-accompagnateurs destinés à rendre grâce à la p(P)arole jadis étouffée qui retrouvera sa voie d’espérance jusqu’à devenir louange.

Au cœur du tragique des appels à notre service, il y a ces mercis qui jaillissent comme une reconnaissance qui rentre à la maison, comme un salut qui ouvre un chemin nouveau, comme une fête préparée pour nous car voici que nous, qui étions morts, nous sommes revenus à la vie, ensemble et par Lui. Rendons grâce au Pèlerin et à nos accompagnés qui nous rappellent tous deux la justesse des mots de Basile Moreau, fondateur des Sainte-Croix : « La résurrection est un évènement quotidien ».

Barbara Martel, codirectrice gestion
bmartel@lepelerin.org