No 12 – série 2025-2026
Évangile du mercredi 17 septembre 2025 – 24e semaine du temps ordinaire
« Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré » (Lc 7, 31-35)
En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « À qui donc vais-je comparer les gens de cette génération ? À qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent à des gamins assis sur la place, qui s’interpellent en disant : “Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré.” Jean le Baptiste est venu, en effet ; il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin, et vous dites : “C’est un possédé !” Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et vous dites : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.” Mais, par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste. »
Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.
Méditation – Redevenir aussi harmonieux que le ciel étoilé
Ce texte est énigmatique. Jésus compare-t-il « les gens de cette génération » à des enfants capricieux et grognons qui ne sont jamais contents ? Veut-il nous apprendre à écouter l’instant ? Peut-être pouvons-nous lire dans ce texte une invitation à saisir le rythme de la vie spirituelle. La vie avec Dieu n’est pas une marche militaire cadencée par un tambour uniforme. Notre pas de vivant suit la souplesse sautillante de la danse enivrée de flute, mais aussi, parfois, dans la lourdeur du pas figé, nous versons des pleurs.
Pleurer dans la pénitence avec Jean le Baptiste, se réjouir avec l’Époux : cela demande une adaptation et une intelligence des temps. Reproduire mécaniquement une attitude ne correspond pas à la souplesse de la vie. Pleurer en Dieu, danser en Dieu : tout un sens musical est requis.
« Les gens de cette génération » ne suivent pas le mouvement que propose la danse et ne vibrent pas aux ondulations de la musique. La flûte résonne en vain… La chanson reste collée à la bouche du chanteur et personne ne la reprend… Qu’est-ce qu’une chanson que personne ne chante ? « Les gens de cette génération » refusent le tourbillon des danses. Les cœurs ne s’unissent pas au mouvement que le Christ propose aux hommes. Jésus n’est pas uniquement un personnage historique, localisé dans tel pays. Il est le « logos », le principe qui ordonne l’univers : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1,1-3). Le Christ est l’harmonie dans laquelle tout a été fait (Col 1,16) et lorsque cette harmonie du céleste et du terrestre nous invite à la danse, cette invitation déploie notre vie dans un ensemble vaste, magnifique et éblouissant.
Mais, dans la hantise de tout maîtriser, les gens de notre génération craignent d’héberger, en eux, une profondeur et une hauteur. Fuyant ce qui est profond, ils ont hâte de se débarrasser des racines du cœur. Et, fièrement, ils refusent le ciel qui s’étoile au-dessus de nous. Les gens de notre génération conçoivent la foi comme une option. Nous sommes hyper subjectifs : tout ne relèverait que de notre choix. Au supermarché des opinions, la croyance est un produit que l’on achète ou pas… Nous sommes aussi hyper objectifs : la science décrit notre monde matériel : « Circulez, il n’y a rien à voir… La vie n’a pas de sens. » Entre le caprice du moi et le vide de la matière, nous vivons dans l’absurdité et mourrons dans le néant. C’est un refus de ce qui, en nous, est plus profond que nous et plus haut… Dans une louange ouverte à ces deux infinis, Saint Augustin remerciait son Seigneur : « Mais, toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même » (1). Ainsi, le reproche de Jésus s’adresse légitimement à notre génération : « Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré. » Cela a des conséquences énormes : le relativisme nous conduit au non-sens et nous entraînons le cosmos dans notre dérèglement. Notre âme semble perdue dans une nature réduite en esclavage. L’âme et le cosmos désarticulés errent dans une cacophonie.
Pourtant, la vérité demeure : le Christ, vrai Dieu et vrai homme, principe de la Création, unit le subjectif de notre vie à l’objectif de l’ordre cosmique. Notre foi est subjective, car elle nous saisit en tant que personne. Notre foi est aussi objective, car elle s’adosse au logos qui régit l’univers. La Création est bonne. L’homme intérieur habite le cosmos où il s’élève vers son Créateur : nos yeux qui voient jusqu’aux étoiles, notre âme qui porte notre corps… tout s’unit au Créateur.
La louange du Seigneur s’exprime de manière musicale, le corps frémit et entame un mouvement de joie : « Dansez à la louange de son nom, jouez pour lui, tambourins et cithares ! » (Ps 149,3). Du tréfonds du corps, l’âme fait monter sa louange et présente au Seigneur son harmonie. Le chant le plus intime a une dimension cosmique. Car, le cosmos tout entier attend la révélation des fils de Dieu (Rm 8,19), l’homme recueille en sa conscience la grandeur de l’univers et l’adresse au Créateur. Chaque cœur vibre à la beauté que Dieu imprime dans la nature : « Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le dans les hauteurs. Vous, tous ses anges, louez-le, louez-le, tous les univers. Louez-le, soleil et lune, louez-le, tous les astres de lumière » (Ps 148,1-3).
À la différence du cosmos qui obéit avec souplesse au Créateur, notre manière humaine de vivre a besoin de rétablir en elle rythme et harmonie. Comme le dit Grégoire de Nysse, une « non-musique, dissonance et discordance » font grincer notre existence. Un bruit perturbe notre danse qui se raidit, notre chanson grince et crisse. Nous avons besoin d’un sauveur qui nous rétablisse dans le rythme et l’harmonie pour que notre vie donne sa mesure. Car, selon l’expression de Grégoire de Nysse « c’est la volonté de Dieu que ta vie soit un psaume » (2), cette musique avec laquelle nous avons été créé, nous avons besoin de l’exprimer et de la jouer. À l’unisson de l’harmonie cosmique, nous avons besoin de célébrer la gloire de vivre. Notre âme est un psaume à chanter. Notre vie est un mystère que — trop pressés de vivre — nous ne devons pas éluder. Il nous faut apprendre chaque rythme, réapprendre chaque note pour sentir notre existence dans tout l’arc-en-ciel de sa saveur. Car, en nous, une mystérieuse musique attend. Dans notre vie, une symphonie renvoie à l’harmonie céleste et à l’accord mystérieux qu’elle imprime en nous. La Sagesse joue comme un enfant devant le Créateur. Nous souffrons d’oublier son jeu enfantin : « Je faisais ses délices jour après jour, jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. » (Pr 8,30-31). Que notre âme joue avec la Sagesse ! Une âme qui s’éveille et dialogue avec le cosmos… cela a des conséquences écologiques, économiques, politiques. Le monde a besoin d’ingénieurs qui unissent l’utilité et le sens, qui discernent dans le matériel ce que l’Esprit a déposé de spirituel.
« L’homme n’a pas été placé dans l’univers comme devant un instrument, dont il aurait simplement à bien user pour se sanctifier, mais il y a été situé par le créateur pour qu’il s’avance à la tête de tout le créé, célébrant une liturgie cosmique, un culte spirituel qui rassemble et transfigure toute la création dans un hymne de louanges. Oui, l’homme peut et doit redevenir aussi harmonieux que le ciel étoilé et chanter lui aussi l’hymne à la gloire du Dieu créateur. La musique peut être associée à notre effort comme un moyen de rétablir en nous la pureté ternie de la ressemblance ; en chantant les psaumes — mais pour tout vrai musicien quelle musique n’est-elle pas un psaume ? — nous contribuons à faire de notre vie cette prière harmonieuse qu’elle doit devenir. » (3)
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
- Saint Augustin (V°s), Les Confessions (III, VI, 11).
- Grégoire de Nysse (335-395), Sur les titres des psaumes, Psalm. II, 3, p. 75, 17 = 493 C.
- Henri-Irénée MARROU (XX°s), « Une théologie de la Musique chez Grégoire de Nysse ? », Christiana tempora. Mélanges d’histoire, d’archéologie, d’épigraphie et de patristique, École Française de Rome, 1978, p.371.
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