No 234 – série 2024-2025
Évangile du mercredi 14 mai – S. Matthias, apôtre
« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15, 9-17)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »
Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.
Méditation – « Aimant-† » : le joyeux magnétisme évangélique – Méditation du mercredi 14 mai 2025
Chers amis, quelle magnifique page d’Évangile aux paroles flamboyantes ! Pourtant, n’est-elle pas aussi victime de son succès ? Ne finit-elle pas par s’user banalement sur le pavé de son « évid-ence » – évidée – au fil des années, telle une odeur à laquelle on s’habitue et qui sombre, inaperçue, dans l’insensibilité et l’oubli ? Son commandement d’amour n’est-il pas devenu une expression assaisonnée à toutes les sauces, des plus douces aux plus piquantes, ou encore, carrément insipides ? Rabat-joie, me direz-vous ? Pas du tout, ce n’est que pour mieux réanimer, en moi d’abord, son incandescente quintessence et, qui sait, peut-être aussi en vous. Comme je ne peux certainement pas suffire à la tâche – elle appartient avant tout à l’Esprit – je consens tout de même à essayer de faire ma petite part pour réactiver, espéré-je, son magnétisme, afin que vous et moi y « demeurions aimantés ».
En méditant cette Bonne Nouvelle du jour, me voilà mystérieusement téléporté dans les chaussures, certes trop grandes, de Jean le Baptiste vis-à-vis Jésus, lui rendant ainsi témoignage : « Telle est ma joie, et elle est parfaite. Il faut que lui grandisse et moi que je décroisse […] Qui accueille son témoignage certifie que Dieu est véridique; en effet, celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main. Qui croit au Fils a la vie éternelle; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure en lui » (Jn 3, 29-30.33-36). À la suite de cette parole située en droite ligne de l’évangile du jour, ne sentez-vous pas un courant passé ?
La logique déconcertante de l’Évangile veut que « qui perd sa vie limitée, LA gagne infiniment en Dieu » (Mc 8, 35-37). Or, n’est-il pas vrai que, trop souvent ici-bas, « on perd sa vie à la vouloir la gagner[1] », étant aimanté à cette part de soi, de l’autre et du monde vouées à la déchéance ? En réalité, sur les pas de Jésus-Christ et en en Lui, on ne reçoit bien S(s)a V(v)ie qu’en l’offrant et en la donnant, encourant le beau risque alors d’y être aimanté. Donner en Jésus-Christ n’est jamais perdre. Au contraire, c’est plutôt se retrouver en communion divine à la source et au sommet de la « joie parfaite », durable et imprenable. Et cette Joie n’est pas tant un sentiment chaleureux que la plénitude elle-même du sentiment d’exister[2] où le plus (+) attire et « aimante » le moins (-).
Pour que la joie soit parfaite, il faut qu’IL grandisse en moi et que je décroisse en Lui, et qu’au final, nous demeurions, Lui en moi et moi en Lui, dans la joie partagée. Certes, en physique et en métaphysique, deux pôles similaires se repoussent : quand on se prend pour moins que rien entraînant l’a(A)utre dans notre chute (2 pôles négatifs dont l’un est faux) ou qu’on se prend nûment pour Dieu (2 pôles positifs dont l’un est faux), la « colère divine » demeure en nous, repoussant alors l’Amour. Mais, au fond, pourquoi prendre ce qui, en fait, nous est déjà donné par-dessus le marché ? « Demeurez dans mon amour », c’est tout, rien de plus (+), rien de moins (-). C’est toutefois, là, le lieu de notre péché qui est bien plus une plaie à guérir qu’une tache à effacer ou une tare à compenser au prix vain de nos efforts humains. Lorsqu’on « élève [en vérité] notre regard vers celui qu’ils ont transpercé » (cf. Za 12,10), la trouée révèle sans conteste qu’il n’a jamais perdu LA Vie, même sur la croix.
Cette Vie, il ne l’a toujours accueillie qu’en la donnant librement fécondée jusqu’au summum de son existence, recevant tout du Père et Lui redonnant tout au bénéfice de Sa Gloire et du salut du genre humain comme de toute la Création. Cloué au sol sur la barre transversale (—, lat. : patibulum) qu’il avait lourdement portée en chemin, les soldats romains l’ont ensuite hissé sur le poteau vertical (|, lat. : stipes) formant dès lors la Croix : †. Ce faisant, ils ont, contre toute attente et malgré eux, permis que soient mystérieusement croisés et réunis le moins (-) humain au plus (+) divin-salvifique. En définitive, le Père, en Jésus-Christ dans l’effusion de son Esprit, a fait une « Croix » sur la déréliction et, qui plus est, en a fait le pôle d’attraction du genre humain et de toute la Création. La Croix glorieuse s’avère, de toute éternité, le mystérieux creuset de la v(V)ie au creux duquel le non-être du mal et la souffrance sont « alchimiquement » transformés en Amour et Joie véritables.
Toutefois, elle requiert en son mystère un dépouillement qui n’est pas aisé. Bien qu’il ne soit jamais anéantissement ou disparition, il implique certes un renoncement à tout ce qui démagnétise en soi et autour de soi la communion divine des pôles humain et divin (- et +), et empêche leur commutation en joie parfaite. La percée demeure d’y consentir constamment, mais son balbutiement n’est rendu possible que si nous avons pu « re-con-naître » les traces de l’Amour miséricordieux du Père au cœur de notre vie. Et, cela ne se fait pas seul, mais en relation et en communion avec d’autres « bienheureux demeurés » au cœur du monde. En ce sens, la joie d’être aimés et d’aimer demeure toujours en nous comme un don gracieux à recevoir et à mettre en œuvre, et jamais comme une récompense méritoire. Nous sommes ainsi conviés, sur le pas de Celui qui nous précède, à marcher (« heureux » traduit Chouraqui) le chemin de notre filiation et de notre mission vers cette communion divine qui est source de Joie « commune » aux fils et filles de Dieu. Partout où il y a bienveillance et compassion,
Dieu y fait discrètement mais mystérieusement Sa demeure, et nous contribuons à son échafaudage. Cette demeure, il veut la faire en nous et entre nous, alors que nous aspirons tous et toutes ardemment, consciemment ou non, à y demeurer en Joie à jamais. Une question demeure, non pas celle qui « tue » mais au contraire qui « donne Vie » : « Pour que Dieu t’habite, Lui as-tu construit un logement digne de sa gloire ?[3] » « Comment cela peut-il se faire ? » (Jn 3, 9) Suivons les traces du Bon Pasteur en « re-con-naissant » qu’il n’y a pas meilleur et plus joyeux Berger que Lui, puisqu’il n’a jamais dédaigné à sentir le mouton[4]. Y a-t-il plus belle façon d’exprimer à quel point nous sommes, à la suite du Christ et en lui, « aimant-† » en Dieu-Père, parce que constamment « aimant-† » en soi et autour de soi avec l’autre, humain ou la nature créée, dans la communion de l’Esprit ?
Bénédiction et union de prière !
Dany Charland – danycharland173@gmail.com
[1] Expression tirée de la chanson « Je m’ennuie de toi » de Chantal Pary (1981).
[2] Cf. Lytta Basset, La joie imprenable, Genève, Labor et Fides, 1996, pp. 23 & 319. (collection : Lieux Théologique, 28)
[3] Christiane Singer, Derniers fragments d’un long voyage, Paris, Albin Michel, 2007, p. 55.
[4] Énoncé inspiré de propos significatifs du regretté Pape François.

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