No 68 – série 2025-2026
Évangile du mercredi 12 novembre 2025 – 32e semaine du temps ordinaire
« Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » (Lc 17, 11-19)
En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés. L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.
Méditation – Grâce au « merci », la guérison devient un signe du salut
Cette page d’évangile de guérison met en valeur un des dix lépreux qui revient sur ses pas pour remercier Jésus. Suis-je capable de gratitude ? Sommes-nous capables collectivement d’exprimer la reconnaissance ? 90% de ces lépreux ont vécu leur guérison comme un fait. C’est un fait matériel : « voilà je suis guéri. Ouf… retournons à nos affaires ! » semblaient-ils dire… Un seul a vécu sa guérison comme un cadeau que le remerciement célèbre.
La gratitude est l’acte spirituel qui —discernant le don— remonte jusqu’à l’intention intime du donateur. Le lépreux reconnaissant comprend que la guérison était le signe corporel de quelque chose de plus formidable. En suivant le fil du « merci », le signe de la guérison guide le lépreux jusqu’à sa signification ultime. Empruntant à l’envers le chemin vers son guérisseur, le lépreux reconnaît le cœur de Dieu. À partir de la guérison corporelle, une guérison plus vaste s’opère lorsque le lépreux entre dans un cœur à cœur avec Jésus. Pour ce lépreux, la guérison devient un acte de salut. À la grâce répond harmonieusement l’action de grâce.
La lèpre est une contagion du mal, mais la gratitude est la contagion de l’amour. En sortant du cinéma, si l’on tient ouverte la porte devant moi, mon remerciement s’exprime en maintenant ouverte cette porte pour le spectateur qui suit. Ainsi, se forme une chaîne de gratitude. Dire merci apaise les tensions et invite à la célébration.
Depuis des siècles, l’homme moderne a conçu son accès à la maturité comme un arrachement : être libre, c’est exister par soi-même, à partir de son propre fond. Notre mode de vie proclame notre auto-suffisance : « Je coupe le fil qui me relie au monde afin de me réinventer dans un choix dont je maîtrise tous les paramètres » semble dire l’homme moderne. Le moi sans la relation aux autres, c’est l’individu qui tourne sur lui-même. L’homme sans le cadeau de la Création n’est qu’un prédateur. Couper l’humain du Créateur, c’est nier la profondeur qui nous enrichit. L’homme n’est alors qu’un amas de cellules sans âme. Pour l’homme incapable de dire « merci », être libre, c’est opposer à ce qui nous fait exister le refus catégorique de celui qui ne veut pas dépendre.
Dans une pièce de théâtre, Jean-Paul SARTRE mit en scène ce refus de se recevoir de Dieu. Il imagina Électre ridiculisant le dieu Jupiter au jour de sa fête. Cette princesse allait-elle offrir au dieu des libations de vins fins pour célébrer l’existence reçue ? Électre allait-elle remercier son Créateur comme le lépreux reconnaissant ? Non, elle déversa sur la statue de Jupiter des rebuts pourris. À une existence ressentie comme absurde, elle répondait par le déversement d’ordures : « Tiens : voilà des épluchures et toute la cendre du foyer, et de vieux bouts de viande grouillants de vers, et un morceau de pain souillé, dont nos porcs n’ont pas voulu. » (1)
Et nous ? Sommes-nous dans la gratitude ? Dans Vingt mille lieues sous les mers, le capitaine Nemo célébrait l’océan comme le miroir où l’homme contemple la grandeur du Créateur : « La mer n’est que le véhicule d’une surnaturelle et prodigieuse existence ; elle n’est que mouvement et amour ; c’est l’infini vivant. » (2) Lorsque nous amassons au centre des océans des déchets plastiques, ne faisons-nous pas collectivement comme Électre qui jette des ordures à la face du Dieu dont elle se moque ?
La philosophe Hannah ARENDT considérait l’ingratitude comme l’attitude fondamentale du monde moderne : « L’homme moderne a fini par en vouloir à tout ce qui lui est donné, même sa propre existence – à en vouloir au fait même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers. » (3) La nature n’est plus accueillie comme un don de Dieu. L’existence n’est plus célébrée comme une perfection qui dit quelque chose de son Créateur. Le corps humain n’est pas habité comme le Temple de l’Esprit. Tout ce qui nous est donné est vécu avec le ressentiment de celui qui se sent insulté de n’être pas son propre créateur. « Dans ce ressentiment fondamental, l’homme moderne refuse de percevoir rime ni raison dans le monde donné. Toutes les lois simplement données à lui suscitent son ressentiment. Il pense ouvertement que tout est permis et croit secrètement que tout est possible. » (3) Ce refus de la gratitude a des conséquences tragiques. En effet, si l’existence n’est plus un don accueilli comme une merveille, l’existence n’a plus rien à dire. Et pire, vivre tourne alors en farce terrifiante. C’est la racine du nihilisme de notre époque. Le nihilisme est le désespoir qui éludant le mystère dévalorise l’existence comme une chose absurde.
Y a-t-il un remède au ressentiment contre tout ce qui est donné à l’homme ? « L’alternative à un tel ressentiment, base psychologique du nihilisme contemporain, serait une gratitude fondamentale pour les quelques choses élémentaires qui nous sont véritablement et invariablement données, comme la vie elle-même, l’existence de l’homme et le monde. » (3) Bénir le repas en remerciant pour la nourriture, louer le Créateur pour Ses bienfaits, rendre grâce pour le travail accompli : voilà autant de contagion du bonheur de vivre ! Battement d’un cœur à cœur !
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
(1) Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte I, scène 3.
(2) Jules VERNE, Vingt mille lieues sous les mers, Livre I, chapitre 10, édition GF, p.107.
(3) Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, trad. G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 1961, rééd. Presses Pocket « Agora », 1988, p.35.
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