No 226 – série 2024-2025

Évangile du mardi 6 mai 3e semaine de Pâques

« Ce n’est pas Moïse, c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel » (Jn 6, 30-35)

En ce temps-là, la foule dit à Jésus : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »

Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.

Veuillez noter que les méditations en format audio sont temporairement indisponibles et seront de retour à partir de la semaine du 12 mai. Merci de votre compréhension !

Méditation – Le ciel à la terre réconcilié

Lorsque Jésus parle du « vrai pain », c’est avec raison que nous pensons au sacrement de l’eucharistie, au pain consacré sur l’autel. Mais, ne risquons-nous pas d’affadir les paroles du Christ ? Pourquoi Jésus répète-t-il l’expression « pain du ciel » ? Pourquoi insiste-t-il sur ce mouvement du ciel vers la terre lorsqu’il dit « le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » ? Le « ciel » ? Est-ce encore crédible aujourd’hui ?

Nous avons vite fait de réduire le mot de « ciel » à une jolie allégorie… à un bibelot aussi pieux qu’inutile… Alors, cette parole se fane comme une fleur coupée. Depuis que nous nous sommes racontés que nous étions possesseurs de la nature, la vie tombe comme une proie entre nos mains avides. La science moderne a produit d’immenses progrès dont nous sommes heureux. Tant mieux ! Mais, la mentalité positiviste qui accompagne ces progrès a sclérosé notre approche de la nature, elle a asséché notre sens du mystère. La lune et les étoiles, effacées dans la ville, nous les voyons d’un oeil morne. La technologie a refermé le monde sur lui-même… et le monde s’est vidé. Habitués à exploiter la nature, nous oublions le ciel, lieu qui dit que la vie s’ouvre sur du plus vaste et du plus grand. Pourtant, la vérité du cosmos est que la terre n’existe que dans son lien intime avec le ciel. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1,1), le ciel est l’horizon de la terre.

Nous ne devons pas minimiser le sens cosmique de cette page d’évangile qui redit qu’« un pain venu du ciel » sur la terre renouvelle l’unité de la Création. Tout le cosmos est impliqué par ce qui se déploie à la messe. Selon les mots de la liturgie eucharistique, le pain consacré sur l’autel est « fruit de la terre et du travail des hommes ». Et, comme le rappelle Saint Cyrille de Jérusalem, dans l’offrande du pain et du vin, « on fait mémoire du ciel, de la terre, de la mer, du soleil, de la lune et de toute la création » (1). Dans le Christ, la terre et le ciel s’épousent pour que la vie divine nourrisse notre terre. Au coeur pur, « manger le pain venu du ciel » est un aliment simple comme le jour. À partir du sacrement de l’autel, des cercles grandissent à la surface du monde : la Présence du Christ s’élargit dans une ample respiration et notre reconnaissance envers le Père souffle sur le cosmos entier. Au coeur pur, tout est pur (Tite 1,15). Et comme au premier jour, ciel et terre marchent ensemble comme Tobie avec son chien : « Le garçon partit, et l’ange avec lui ; le chien partit aussi avec lui et il les accompagnait. Ils firent donc route ensemble. » (Livre de Tobie 6,1). Il est des êtres pour lesquels Dieu est un pain. Pour Tobie (dont le nom hébreu signifie « Dieu est mon bien »), le ciel rejoint la terre de l’affection ordinaire.

Les coeurs simples vivent ce mystère. Un silence habille une forêt où tombent les feuilles d’automne autour d’un couple amoureux. Près d’un berceau, une veilleuse caresse le visage d’un enfant. Un enfant endormi ? « Comment pareille beauté est-elle possible ? Comment, à travers la chair d’un homme et d’une femme, Dieu a-t-il pu créer cette beauté ni charnelle, ni spirituelle, mais totale, cette beauté, au-delà de toute atteinte, et qui se délivre dans un abandon concentré, car l’enfant dort comme seuls les saints savent prier. » (2) Il faut un homme, une femme pour faire un enfant qui dort. Il faut tout un monde, la lune, les étoiles, le ciel, la terre pour faire un enfant qui dort. Toute la Création s’y résume et culmine dans un abandon paisible.

Mais, nous le savons tout n’est pas si limpide. L’enfant grandit et quitte sa beauté originelle. L’épreuve du péché marque son corps et son visage. « Plus tard, dans l’adolescent, dans l’adulte, la beauté se dissociera, le ciel et la terre s’opposeront. Il faudra pour les réconcilier de très longs combats. » (2) Reconquérir le ciel et la terre dans la beauté entrelacés suppose une lutte pour retrouver la limpidité du regard. Par le péché, l’homme met en pièces l’unité du créé. Mais, dans Son corps, le Christ retisse le cosmos. Indéfectiblement, Dieu crée et recrée ciel et terre comme une tunique sans couture.

Donner à voir un regard d’enfant, c’est le défi que propose Dostoïevski dans son roman L’Idiot. Le Prince Mychkine est un être fondamentalement bon, d’une bonté naïve qui dérange. La bonté n’est-elle pas idiotie aux yeux adultes ? Le regard cristallin du Prince Mychkine regarde la terre pour voir le ciel : « Je ne comprends pas comment on peut passer à côté d’un arbre, et ne pas être heureux de le voir, parler avec un homme, et ne pas être heureux de l’aimer ! (…) combien il y a à chaque pas de choses si belles, que même l’homme le plus désemparé trouve belles ! Regardez l’enfant, regardez l’aurore du bon Dieu, regardez le brin d’herbe grandir, regardez les yeux qui vous regardent et qui vous aiment… » (3)

Quand le Christ Se fait nourriture… mangeons ce pain là où Il Se trouve, « sur terre comme au ciel » (Mt 6,10), sur le quai du métro comme dans le bus vers le travail ou dans la cuisine familiale… Quand le Seigneur dresse la table, le monde entier est Sa maison : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Qui posera des limites à l’inventivité de l’Esprit Saint ? Dans la soif et la faim de ce monde, l’idiot, l’enfant et le saint se nourrissent du « pain de la vie ». Car, le Père est reconnu comme Celui qui rassasie. Cela change la vie.

Quand les hommes arrachent la terre à l’attraction du ciel, Dieu ré-invente un pont dans le ciel pour rejoindre la terre. Après le déluge, Dieu offre à Noé l’arc-en-ciel de l’alliance : « je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. » (Gn 9,13). Ce que le monde déchire, un regard lumineux le raccommode avec un arc-en-ciel d’humilité. Les saints se présentent devant Dieu dans une crainte amoureuse qui pressent un Dieu immense. « Seule une humilité de tout l’être où j’assume réellement ma condition de créature peut me faire comprendre que rien ne m’est dû, puisque tout m’est donné. Dieu me donne l’être, et l’être est grâce. Dieu me donne le monde et les autres, et quand le monde, un instant, me révèle sa beauté, et quand l’autre, un instant, me révèle son visage, la gratitude gonfle mon coeur : tout est grâce. » (4)

Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

Notes :

(1) Saint Cyrille de Jérusalem (315-387), Catéchèses mystagogiques, V, 6.
(2) Olivier Clément, Questions sur l’homme, Stock, 1972, (p.69)
(3) Dostoyevsky, L’idiot, (roman de 1868-1869), tome 2, édition GF de 1983, (p.416).
(4) Olivier Clément, Questions sur l’homme, Stock, 1972, (p.68)




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