No 247 – série 2024-2025

Évangile du mardi 27 mai 6e semaine de Pâques

« Si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous » (Jn 16, 5-11)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je m’en vais maintenant auprès de Celui qui m’a envoyé, et aucun de vous ne me demande : “Où vas-tu ?” Mais, parce que je vous dis cela, la tristesse remplit votre cœur. Pourtant, je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. Quand il viendra, il établira la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement. En matière de péché, puisqu’on ne croit pas en moi. En matière de justice, puisque je m’en vais auprès du Père, et que vous ne me verrez plus. En matière de jugement, puisque déjà le prince de ce monde est jugé. »

Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.

Méditation – « Où vas-tu ? »

Le Christ est venu dire ce que le monde ne pouvait pas dire. Il exprime la vérité que le monde ne pouvait pas penser par lui-même. La lumière divine qui traverse le monde, le Christ la révèle (Jn 1,5). Car, le monde abandonné à lui-même reste un orphelin muet sur son origine. Avec le Christ, brille dans notre monde une lumière qui vient d’ailleurs : l’inouïe profondeur du Père (Lc 8,16-18). Ce que nous appelons « monde » en le réduisant à la somme de nos intérêts… le Christ vient l’ouvrir ! Ce qui se referme sous nos mains voraces, le Christ l’élargit ! Le regard émerveillé du Père nous est accessible dans ce refrain qui ponctue le récit de la Création : « Et Dieu vit que cela était bon. » (Gn 1,10). À l’intérieur de notre vieux monde, se trouve un monde neuf comme un trésor qui enrichit le champ où il est caché (Mt 13,44). Notre corps révèle un « Temple de l’Esprit » (1 Co 6, 19-20). Nos mots sont Souffle et Parole, « puissance, action de l’Esprit Saint » (1 Th 1,5).

Déjà, il y a longtemps, le prophète Isaïe pressentait que l’essentiel du réel demeurait voilé : « Vraiment tu es un Dieu qui se cache » (Is 45,15). Dieu ne se cache pas pour être inaccessible, ni pour échapper aux hommes, mais, au contraire, pour que l’homme Le cherche. Dieu Se cache non pour Se retirer, mais pour qu’en nous, le désir trace une route vers le mystère. Dans le creuset de l’être, le Christ, à l’intime du coeur, nous apprend à discerner l’appel du Père (Jn 6,44). Notre quête n’est pas vaine : « cherchez et vous trouverez » (Mt 7,7). Le Christ attire la bien-aimée cachée dans le monde : « Ma colombe au creux d’un rocher, au plus caché d’une falaise, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix. » (Ct 2,14). D’autres fois, c’est le bien-aimé qui s’en va : « Où est allé ton chéri, ô la plus belle des femmes ? » (Ct 6,1). L’Incarnation s’inscrit dans ce jeu du caché et du dévoilement. Quand Dieu S’est révélé à visage découvert et dans le plein jour d’une existence vécue à Nazareth, on peut dire qu’Il s’est caché dans le geste même de Sa révélation. Il s’est montré dans un lieu qui n’avait rien de fameux (Jn 1,46). Beaucoup ne pouvaient croire que le Messie fût le fils du charpentier (Mt 13,55). La venue dans la chair montre Dieu et Le dissimule. L’Incarnation est un voile : « il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. » (1)

Dans la vie de notre âme, la venue de l’Emmanuel, ce Dieu qui se fait proche, alterne avec un « Je m’en vais » que nous entendons aujourd’hui dans l’évangile. « La présence permanente de Jésus auprès de nous se réalise à travers des retraits et des absences successifs. Il est venu dans le monde pour quelques années, puis il disparaît. « Je quitte le monde et je vais au Père » (Jn 16,28). » (2) À travers la déchirure des adieux, ce « Je m’en vais » suscite la joie du disciple qui aime son maître : « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie, puisque je pars vers le Père » (Jn 14,28). En effet, en rejoignant le Père, le Christ retrouve la gloire divine qu’Il connaissait avant Sa venue dans notre monde (Jn 17,5) : « « Parce que le Père est plus grand que moi » : en disparaissant vers le Dieu plus grand, il parvient lui-même à sa véritable stature, telle qu’on pouvait l’entrevoir sur la montagne de la transfiguration et qu’elle devient pour lui définitive à sa résurrection. L’amour des disciples pour lui doit souhaiter pour lui cette stature définitive plus que la forme périssable, sensible, qu’il a revêtue par amour pour eux et par laquelle ils ont expérimenté sa présence. » (3)

Le disciple se réjouit du départ de Jésus vers le Père. Mais, ce départ est-il avantageux pour les disciples eux-mêmes ? Dans un monde si dur, pouvons-nous être heureux sans un Jésus visible ? Manger avec Jésus… Lui parler et entendre de nos oreilles sa réponse. Nos tracas ne s’allégeraient-ils pas en présence physique de Jésus ? Dans la Chine communiste, le visage de Mao rayonnant dans un soleil s’affichait dans les rues pour guider le peuple… Mais, pour Ses disciples, le Christ a refusé cette soumission infantile. Comme souvent, Jésus va jusqu’au paradoxe : « je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille. » Jésus contraignait au combat des disciples qu’Il disait « heureux » d’avoir « faim et soif de justice » : « En marche, les affamés et les assoiffés de justice ! » (Mt 5,6, traduction André Chouraqui). Ce même Jésus voit dans Son absence la source de notre croissance. Ah… si Jésus nous disait : « Viens ici, va à droite, tourne à gauche… » ! Tout serait si facile… Mais, Jésus n’a pas mis en place un GPS qui télécommanderait les âmes. Servirait-il à quelque chose de mettre en route les boiteux, de redonner le jour aux aveugles, pour ensuite courber ses esprits sous le poids d’une présence dominatrice ?

Le Christ, qui a assumé l’Incarnation, nous invite à soutenir le poids de notre condition humaine. Il en fait même le lieu d’une révélation divine : « si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » La foi en Jésus contient une audace, car elle soutient que c’est de l’intérieur de notre existence que l’Esprit nous parle et Se communique. Désormais, Jésus sera rendu présent par l’Esprit. Nous rêvions tout à l’heure de parler à Jésus et d’entendre Sa réponse. À partir de l’Ascension du Seigneur, l’écoute se fait dans le silence de la prière. La réponse se recueille dans l’effort du discernement. L’Esprit envoyé par Jésus ne télécommande pas la trajectoire d’un robot, mais assure la croissance vivante d’une liberté. Être avec ton Dieu suppose de « marcher avec ton Dieu » (Mi 6,8).

Les soirs de lassitude, nous aimerions que l’Esprit nous transporte plus avant sur notre chemin. Face aux échecs, nous aimerions que la colombe de l’Esprit, tel un hélicoptère, nous dépose directement à la solution espérée. Mais alors, notre vie n’aurait aucune consistance propre. Nous serions un pion qu’une main divine déplacerait sur un échiquier. Ma vie, mon chemin sont tissés de ces multiples obstacles qui font mon histoire. Mon chemin qui dévoile ses paysages n’existe que par ma marche. Et c’est cette marche avec le Défenseur qui dessine mon identité.   

Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr

Notes :

  • Blaise PASCAL, Lettre à Mademoiselle de Roannez, 29 octobre 1656, Oeuvres Complètes, tome IV, éd. J. Mesnard, (p.1035).
  • Balthasar,  La vérité est symphonique, (p.102).

(3) Balthasar,  La vérité est symphonique, (p.103).


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