No 51 – série 2025-2026
Évangile du dimanche 26 octobre 2025 – 30e dimanche du temps ordinaire
« Le publicain redescendit dans sa maison ; c’est lui qui était devenu juste, plutôt que le pharisien » (Lc 18, 9-14)
En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.
Méditation – Émerveillé de son Amour, Il nous libère de nos miroirs !
Être vu!
La mode des selfies est éloquente de ce besoin… comme si au cœur de l’anonymat et de l’indifférence qui marque notre époque, les personnes vivent dans la crainte de passer inaperçu. Chaque selfie est un miroir à travers lequel nous maîtrisons l’image que l’on veut projeter. Sans trop nous en rendre compte, nous devenons prisonniers d’un monde où l’apparence tient lieu de vérité. Un sourire peut cacher un vide immense qui n’ose pas encore se dévoiler dans la crainte d’être jugé. Nous cherchons un visage qui enfin nous regarde. Lancé comme une bouteille à la mer au cœur de l’océan numérique, notre quête tente de se rassurer à coup de « like » qui n’offrent que des calories vides… Le virtuel qui se moque des distances… nous garde en distance de la vraie rencontre ! Nous avons besoin d’un contact, d’une présence, d’une reconnaissance, d’une chaleur humaine. Derrière l’image que nous présentons de nous-même, n’y a-t-il pas cette espérance qu’un jour nous pourrons faire l’expérience d’être reconnu et accueilli au plus profond de nous-mêmes, sans maquillage et sans fard, sans que nous ayons besoin d’exister par l’image « photoshopée » de nous-mêmes ?
Le Regard du Christ nous embrasse. Sa Parole veut nous faire entrer dans la découverte de ce Regard du Père, qui est la Source de notre vie et de notre identité. Ainsi, Il ne veut pas que nous restions prisonniers de ce miroir où nous nous contemplons dans notre vertu ou dans notre misère… Cette contemplation de nous-mêmes nous garde en exil de la rencontre qui cherche à nous sauver.
Pour les bons pratiquants que nous sommes, il nous est facile de trouver le repos dans la réalité de tout ce que nous avons mis en œuvre pour vivre notre foi. La conscience d’une certaine pratique qui a assumé bien des défis, qui a traversé le temps et nous a permis de « passer au travers » comme on dit. Cette pratique est née de notre recherche spirituelle et d’une quête profonde, dont la teneur nous a donné de trouver un sens à notre vie et d’apporter une lumière précieuse pour notre intelligence. Elle a été source d’une croissance dans la capacité de mobiliser notre volonté.
De plus, ce que la vie nous a appris nous a souvent coûté cher… et le fruit qui en résulte nous est d’autant plus précieux.
Il est quand même spécial que le pharisien ait besoin de faire montre de sa vertu et d’en faire la publicité… comme s’il avait besoin d’être reconnu et vu à travers la mise à l’écran de ses bonnes œuvres. Il fait montre de sa consistance devant le publicain… une consistance toute définie par ce qu’il fait… Pourquoi cette démangeaison de se comparer avec le publicain alors même qu’il vient rencontrer Dieu ? La valeur de sa vie ne tient-elle qu’au fait de pouvoir se sentir supérieur aux autres ?
Alors même qu’il vient au Temple pour prier, la parole du pharisien se fait louange sur lui-même. Il est dans ce monologue où il se contemple dans le miroir, tout en ne se laissant pas saisir par l’Amour de Dieu et par sa Présence qui déborde infiniment ce qui fait l’objet de son admiration. Les yeux obnubilés par sa pratique et ses bonnes œuvres, il devient fermé à la rencontre des autres et de Dieu. Alors même qu’il est au Temple, c’est avec lui seul qu’il a rendez-vous… S’il s’adresse bien à Dieu, c’est pour Lui rendre grâce de ne pas être comme les autres. La conformité de sa pratique aux règles et aux normes est sans faille et sa conscience est dans cette paix qui est le fruit de sa correspondance aux règles établies. Il ne prend même pas la mesure de son jugement sur les autres et de cette faille qu’il met en acte en regard du prochain dont il se fait le juge. Aussi dur pour les autres qu’aveugle sur soi. Dans le mouvement même où il se glorifie de cette consistance, il ne gravite plus autour du soleil de l’Amour de Dieu au cœur de sa vie.
Ou bien la consistance qu’il se donne a toujours reposé sur la réalité de cette pratique exemplaire pour laquelle il est un athlète musclé… et il n’a fait que s’appuyer sur ses propres forces pour « gagner » le salut sans avoir vraiment fait l’expérience du Salut qui vient de Dieu, trop plein qu’il est de lui-même.
Ou bien il a fait cette expérience d’être saisi un jour par l’Amour de Dieu qui fait de notre faiblesse le lieu de sa Force et… il l’a oublié !!!
Tellement collé à l’arbre de sa vertu, il ne voit plus la forêt de l’Amour de Dieu qui l’enveloppe de sa Gratuité… Cette expérience ne le mobilise plus… Le piège est d’autant plus subtil qu’au regard des critères de pratique extérieure, tout est conforme… il en fait même plus que ce qui est demandé. Le danger de notre suffisance ne se rend pas visible à travers notre pratique… de l’extérieur, tout est conforme. C’est même de cette conformité dont nous allons nous servir pour nous donner bonne conscience… et cela va stériliser la vie. Le mystère du Souffle de l’Esprit ne peut jamais être converti en capital ou en compte de banque.
Le dessèchement de sa vie se confirme à travers le jugement qu’il porte sur le publicain.
Convaincu d’être juste, il méprise les autres, du haut du fragile podium qu’il s’est construit, fort de ses pratiques, aveugle sur son manque et sur l’Amour que Dieu a pour lui.
Lorsque nous avons fait nous-mêmes l’expérience d’être sauvé dans notre faiblesse, nous ne pouvons plus juger les autres. Nous devenons même contagieux de cette miséricorde qui nous a sauvés et qui fait naître en nous la compassion en regard des autres.
Les publicains étaient mal vus : ils servaient le pouvoir romain en collectant les impôts et en profitaient parfois pour empocher plus que ce qu’ils devaient collecter, et ce à leur propre profit.
Le publicain au Temple vient à la rencontre de Dieu en étant simplement vrai, en se reconnaissant pécheur. Frédéric Boyer, dans sa traduction des Évangiles, traduira sa prière ainsi : « Sois favorable avec moi qui suis dans le manque ! »[1]. Et c’est lui qui deviendra juste. Il portera sur lui, dans le creux de son manque, la signature de ce Dieu qui nous sauve.
Oser être vrai avec Dieu, dans l’aveu de nos manques et de notre désir de L’aimer…
Faire mémoire de son Amour qui est à l’œuvre au cœur de notre vie…
Et entrer dans l’émerveillement de Le découvrir au plus profond de notre vie et de notre histoire.
Gardant les yeux sur le Salut qu’Il réalise en notre vie, l’émerveillement nous fait entrer dans la liberté d’un Souffle qui nous saisit et nous transforme. Nous sommes ainsi délivrés de nos miroirs pour enfin nous laisser regarder par Celui qui nous cherche.
L’abbé Paolo – maheux.paolo@gmail.com
[1] Frédéric Boyer, Évangiles, Éditions Gallimard, 2022, p. 393
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