No 5 – série 2025-2026
Évangile du mercredi 10 septembre 2025 – 23e semaine du temps ordinaire
« Heureux, vous les pauvres. Mais quel malheur pour vous, les riches » (Lc 6, 20-26)
En ce temps-là, Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
Texte d’Évangile tiré du Prions en Église. S’abonner au Prions.
Méditation – Pleurs et joie du salut
« Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez » (Lc 6,21). Par cette parole énigmatique, le Christ évoque un bonheur au milieu des larmes. Certaines larmes se mêleraient-elles à une certaine manière d’être heureux ? « Y aurait-il donc une affliction qui serait paradoxalement source de bonheur ? » (1) Il ne s’agit nullement d’une banalité comme « après la pluie, le beau temps », ni d’une compensation… Qui oserait dire à une mère : « vous avez perdu un enfant ? Mais… vous en aurez d’autres… » ? Une jeune vie, partie trop tôt, ne se remplace pas. D’ailleurs, Dieu approuve Rachel qui refuse d’être consolée de la mort de ses enfants : « Ainsi parle le Seigneur : Un cri s’élève dans Rama, une plainte et des pleurs d’amertume. C’est Rachel qui pleure ses fils ; elle refuse d’être consolée, car ses fils ne sont plus. » (Jr 31,15) Comme toutes les mères en deuil, Rachel refuse les mots illusoires.
Dieu donne raison à Rachel. En effet, dans les larmes, un point de vie remonte du tréfonds de l’âme et se redresse. C’est l’antique mémoire de vie ! Un souvenir des origines affirme avec Dieu que l’existence humaine est « très bonne » (Gn 1,31). Qu’il est doux — contre les faits qui accablent — de ce souvenir de cette vérité divine ! Les larmes n’abdiquent pas devant le mal qui ne doit pas avoir le dernier mot. Celui qui pleure refuse de se confondre avec le mal qui prétend nous broyer jusqu’au cœur. Les larmes résistent, elles ne veulent pas de compensation, ni de résignation, ni d’illusion. Mais, elles désirent la réparation des vies, la Rédemption qui fait droit aux existences brisées.
Même si nous l’ignorons, les larmes sont mystérieusement adressées à un Autre. Même si nous ne le savons pas, les larmes questionnent une profondeur qui est en nous. Dans la foi, comme le psalmiste (Ps 38,13), le cœur pleure en Dieu et Dieu pleure avec ce cœur : « Les larmes de la veuve ne descendent-elles pas sur les joues de Dieu ? » (Siracide 35,18)
La béatitude des larmes répond à un double mouvement. D’abord, l’âme se sent rejointe par le Christ qui « frémit intérieurement et se trouble » (Jn 11,33) devant la mort de son ami Lazare, devant la mort de nos proches. Les larmes de Jésus expriment ce refus de la mort et disent Son amour pour nous : « Jésus se mit à pleurer.Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » » (Jn 11, 35). Le Sauveur pleure avec nous.
Puis, dans un deuxième mouvement, nos larmes nous déplacent dans la compassion pour rejoindre Celui qui est venu vers nous. Jésus Lui-même fait le lien entre nos larmes et Sa mort. On reprochait aux disciples de Jésus de ne pas jeûner comme les disciples de Jean-Baptiste. Alors, Jésus répond à cette critique en parlant de l’affliction et des larmes qui viendront lors de son enlèvement, c’est-à-dire au moment de Sa Passion et de Sa mort : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l’Époux est avec eux ? Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront. » (Mt 9,15). Dans la béatitude des pleurs, « la peine ressentie est donc celle du deuil, face à la Passion et à la mort de Jésus. » (1) Ainsi, le bonheur qui accompagne les larmes a quelque chose de messianique. L’âme pleure avec son Seigneur qui porte la croix pour vaincre la mort.
« Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. » Le « maintenant » désigne l’heure de la Passion du Christ, ce moment où s’accomplit le salut du monde. Saurai-je pleurer avec Celui qui, le long du chemin de croix, porte le monde meurtri vers la Vie ? Les larmes de la Passion reçoivent une lueur de résurrection. Dans ce mystère, l’âme croyante porte le deuil du Christ « qui sème dans les larmes et moissonne dans la joie » (Ps 125,5). Les larmes conduisent en secret à la joie d’être sauvé par le Messie. A contrario, Jésus constate le malheur de ceux qui ignorent ce moment du salut : « Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! » (Lc 6,25). « L’important est ici le mot « maintenant ». Il vise ceux qui rient parce qu’ils ne reconnaissent pas, sur le moment, le sujet du deuil qui appelle une consolation. C’est le cas de ceux qui, face au Christ en croix, se moquent (Lc 22,63) et ricanent (Lc 23,35) » (1)
Osons pleurer avec Dieu. Celui qui pleure seul se durcit dans le malheur. Son cœur rance suinte bientôt la rancœur. Celui qui verse des larmes en Dieu possède un cœur qui se gerce et qui craque… mais c’est aussi un cœur qui s’ouvre et un cœur qui écoute. Comme l’affirme le prophète Jérémie, Dieu pleure dans des lieux secrets qui existent au fond de notre âme : « si vous n’écoutez pas, mon âme pleurera dans des lieux secrets, mes yeux seront inondés et se répandront en larmes » (Jr 13,17).
« Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. » Le rire dont parle Jésus n’a rien d’une moquerie, ni d’un sarcasme. Dans cette béatitude des pleurs, le rire ressemble au Dieu de la Genèse : Dieu a ri devant Abraham et Sarah, qui déjà très âgés, n’espéraient plus dans la vie. Se sentant desséchés, ils se jugeaient incapables de donner la vie. Le rire de Dieu élargit ce qui est possible, Dieu offre à Abraham et à Sarah la vie en surabondance. Leur fils Isaac a pour nom « Dieu rit » (Gn 21,3-6), ce qui rappelle que Dieu a ri lors de sa naissance. C’est le rire de la vie donnée qui succède aux pleurs d’une vie sèche !
Cette béatitude des larmes suit notre Seigneur sur le chemin de Sa Passion, découvre le tombeau vide. « Rirez » est conjugué au futur et les larmes coulent au présent. Mais, déjà par une anticipation prophétique, un « heureux » est posé auprès du cœur affligé dans l’« aujourd’hui » du salut (2 Co 6,2). Dans cette manière si paradoxale d’être heureux retentit le cri de victoire messianique de l’Apocalypse : « Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. » (Ap 21,4).
Vincent REIFFSTECK – vincent.reiffsteck@wanadoo.fr
Notes :
(1) Cardinal Jean-Marie Lustiger, Soyez heureux, 1997, coll. Points, III, 3, p.68-69.
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